EUtopia (2e version, Juillet 2022) de Günther Tritschler, Allemand, né en 1941
Anniversaire de la « République fédérale d’Europe »
le 14 juillet 2041
La RfE est le membre le plus important de l’Union économique européenne (UEE), issue de l’ancienne Union européenne. La plupart des pays partenaires de l’UEE accompagnent les célébrations de la RfE avec sympathie. Certains d’entre eux s’attendent à leur admission anticipée á la RfE. Ce n’est que dans quelques pays de l’UEE que la position de la RfE dans le monde est considérée avec ressentiment ou méfiance.
Une revue de la chronique de la République fédérale d’Europe est appropriée à l’occasion de cet anniversaire célébré de manière festive.
L’histoire des efforts d’unification européenne est longue. L’annonce de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) par le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Robert Schuman, le 9 mai 1950, en est reconnue comme l’origine. Cette initiative de notre pays voisin, peu après la Seconde Guerre mondiale, a été une décision historique pour la paix en Europe. Les pays fondateurs de la CECA, outre la France, étaient la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. Ces six pays ont également franchi une nouvelle étape importante dans la phase fondatrice de l’Europe avec la conclusion du traité de Rome de 1957 instituant la Communauté économique européenne.
Les sept décennies suivantes peuvent être décrites comme la « période du romantisme de l’unification européenne ». Au cours de cette longue période, des approfondissements laborieusement négociés (modifications du traité) et des élargissements importants (de nombreux nouveaux membres) ont eu lieu, qui ont conduit de la CEE à l’Union européenne (UE) en passant par la Communauté européenne (CE). L’UE avait finalement atteint le niveau de plus de 30 États membres. Mesurée en indicateurs économiques, l’UE, en tant que bloc économique, a été en mesure de bien suivre le rythme des États-Unis et de la Chine. Mais les États membres de l’UE, pour des raisons égoïstes et étroites d’esprit, au-delà des questions du marché intérieur, n’ont jamais réussi à passer du droit de veto au principe du vote à la majorité. Pour cette raison, une politique étrangère et de sécurité commune n’était possible que dans des cas individuels. Ainsi, à l’exception des questions économiques, l’UE est restée toujours un facteur mineur dans la politique mondiale. L’UE était économiquement un mammouth, une marmotte dans la politique mondiale !
Rétrospectivement, il est difficile de comprendre à quel point l’élan initial des efforts pour unir l’Europe a été peu utilisé, même si la nécessité de le faire a été soulignée au fil des ans. Les politiciens de toutes les hiérarchies, « débitant » à partir de leurs programmes, soulignaient dans les interviews, dans les talk-shows, dans leurs discours de jours de fêtes et dans les sermons du dimanche combien il était important de « parler avec une seule voix européenne » si nous voulions avoir de l’influence dans le monde. Malheureusement, il est resté essentiellement avec ces phrases. Bien que cela ait révélé un certain désir de force, l’évasion mentale simultanée de la réalité a contrecarré l’émergence de toute envie de prendre des mesures concrètes vers une véritable unification politique. En outre, le nationalisme se fit jour à nouveau dans certains pays de l’UE. Et particulièrement déplorable : les deux dernières décennies de cette longue période ont également été marquées par un manque d’inspiration dans les relations franco-allemandes, qui avaient auparavant toujours été soulignées et cultivées comme « spéciales ». C’est ainsi que, vers la fin des sept décennies, les citoyens européens étaient séduits d’une part par les possibilités de voyager confortablement, sans contrôles frontaliers gênants, et par la monnaie universelle qu'est l'Euro. D’autre part, ils étaient de plus en plus fatigués des belles phrases perpétuelles annonçant une plus grande unité européenne. Lorsqu’en plus, on commença á parler d’une armée européenne – une illusion avec plus de 30 États disposant d’un droit de veto – les gens étaient même un peu agacé. Néanmoins, la grande masse des populations est restée politiquement indifférente, persistant dans un état d’inertie.
A l'inverse de l'histoire culturelle, les Lumières ont suivi le romantisme dans la politique européenne. La période de la « raison européenne » a commencé – comment pourrait-il en être autrement – avec un énorme mouvement de jeunesse, à partir de l’Allemagne et de la France, qui a ensuite également touché d’autres pays. Avec le mouvement pour la protection du climat, la jeunesse européenne a sensibilisé à la crise climatique et a initié la mise en œuvre effective d’une politique climatique cohérente par les gouvernements. Maintenant, il s’est tourné vers le domaine politique suivant, dans lequel ils ont accusé les adultes de propager pendant des décennies seulement des intentions, des promesses, des objectifs, sans agir de manière conséquente : l’unification politique de l’Europe.
Le point de départ du mouvement était un petit groupe de jeunes du sud de l’Allemagne, qui ont eu une conversation avec quelques-uns des témoins contemporains encore vivants de la période d’après-guerre de la 2ème guerre mondiale. Sur la base des récits des seniors, les jeunes ont pu ressentir la prise de conscience du "plus jamais de guerre". Ils ont également vu la réconciliation et le rapprochement entre la France et l’Allemagne après la guerre mondiale comme une base essentielle pour une Europe unie. Ils se sont demandé pourquoi il y avait un tel décalage entre le discours tenu pendant des décennies et la réalité. Ils ont exigé une action rapide et cohérente et ont donné une nouvelle actualité à l'exclamation de Robert Schuman lors de l'annonce de la CECA : « Messieurs, il n’est plus question de vaines paroles, mais d’un acte, d’un acte hardi, d’un acte constructif ». Lors des premières manifestations, ils ont réclamé haut et fort des actions au lieu de paroles pour une Europe politiquement unie. Le mouvement a rapidement pris de l'ampleur et s'est répandu en Allemagne et dans certaines régions de France. Ils se sont donné le nom de « EfEu – Engagement für Europa ». L’unification de la France et de l’Allemagne sous un seul gouvernement a été définie comme l’objectif. Cela devrait être le premier pas vers une Europe véritablement unie. D’autres pays sont restés invités à se joindre ou à suivre.
EfEu a demandé la convocation d'une convention composée d'historiens, de spécialistes du droit public, d’entrepreneurs, de syndicalistes, de citoyens non partisans et de quelques politiciens. La Convention devrait examiner la fusion possible des deux pays et identifier les éléments constitutifs de la mise en œuvre : la structure du nouvel État, les étapes intermédiaires chronologiquement nécessaires à la création du nouvel État, la participation des citoyens, l’obtention de leur consentement et les fenêtres temporelles et les conditions pour admettre davantage de pays.
Contrairement à d’autres mouvements, tels que Pulse of Europe, EfEu voulait entrer au Parlement européen en tant qu’Autre association politique afin de pouvoir s'y exprimer avec force. Un crowd-funding a été lancé avec succès. En outre, d’importants dons ont été reçus en Allemagne de la part de riches particuliers. Ainsi, avant les élections européennes de 2024, une campagne d’une grande portée presque à la hauteur des partis pourrait être menée. La conception était très imaginative et a attiré beaucoup d’attention. En France, le seuil de 800.000 euros pour être éligible n'a été atteint que quelques semaines avant les élections. Cela a laissé moins de jours et de ressources pour préparer la campagne électorale. Néanmoins, la clause de seuil de 5% a été dépassée lors des élections. La campagne française a également été soutenue par la couverture médiatique de l'entrée fracassante d'EfEu en Allemagne. En Allemagne, le résultat sensationnel de plus de 10 % des voix a été atteint d'emblée. Les partis « normaux » ont été visiblement choqués par ce succès. L’électorat a également été surpris. De plus en plus de personnes ont été saisies par l'engagement en faveur de l'Europe, car une réponse concrète et cohérente était désormais apportée à l'idée d'une Europe unie, souhaitée depuis des décennies. Ainsi, le soutien à l’EfEu tel que mesuré dans les sondages d’opinion a continué de croître dans les deux pays. La pression sur les partis était énorme et certains partis pro-européens se sont joints à la demande de convocation de la Convention. De plus en plus de parlementaires des deux pays ont exprimé leur soutien à cette idée. Les gouvernements français et allemand se sont à nouveau réunis pour des consultations régulières après les élections européennes de 2024. Sur les questions de politique étrangère, des positions communes ont été constamment élaborées et représentées. Les politiques intérieures et économiques ont été de plus en plus coordonnées. Et dans les réunions de l’UE, on défendait des positions communes préalablement coordonnées. Enfin, les deux gouvernements ont soutenu la convocation de la Convention après que les parlements avaient voté majoritairement en sa faveur. En 2027, c’était chose faite : la Convention pouvait se réunir.
La Convention s’est réunie de manière intensive pendant toute une année. La France et l'Allemagne avaient chacune délégué 30 membres au comité, dont 3 représentants d'EfEu. S'y ajoutaient 9 membres associés de Belgique et du Luxembourg. Les populations de ces deux pays l’avaient approuvé par vote, après que le roi de Belgique et le grand-duc de Luxembourg eurent offert la volonté d’abdiquer à une date à déterminer pendant de la transition vers un nouvel État. Entre-temps, le mouvement EfEu - Engagement für Europa s'est étendu à d'autres pays de l'UE sous des noms nationaux typiques. En Autriche, en Espagne, au Portugal, aux Pays-Bas et aussi en Italie, des organisations nationales ont été formées. Les maisons royales touchées sont devenues de plus en plus nerveuses – dans le nouveau système étatique, elles n’auraient plus leur place en tant que chefs d’État.
En juillet 2028, la Convention a présenté les résultats de ces délibérations. Ellle proposait l’unification des États de la Belgique, de l’Allemagne, de la France et du Luxembourg en un État fédéral (comparable à la structure étatique de l’Allemagne), mais avec un président élu au suffrage direct (comparable à la Cinquième République française). Le nombre de Länder de cette République fédérale ne devrait pas être trop important. Il a également été recommandé de former des Länder par-delà les frontières nationales antérieures. Deux exemples : la fusion de la Lorraine, du Luxembourg, de la Rhénanie-Palatinat et de la Sarre en un (nouveau) Land et du Bade-Wurtemberg, de l’Alsace et de la Franche-Comté en un (nouveau) Land. Cette suggestion avait été faite principalement par de jeunes représentants de la Convention avec l’argument d’exprimer une nouvelle façon de penser. Les anciennes nations devaient appartenir au passé, la nouvelle « Europe » devait d'emblée s'imposer dans la conscience générale.
Parmi les résultats de la Convention figurait également l'ambition d'assurer et de renforcer la capacité de défense de la République fédérale d'Europe, afin de pouvoir véritablement voler de ses propres ailes en matière de sécurité et de politique étrangère. En plus, la proposition d'honorer les prestations préalables de la France, dans la mise en place de la dissuasion nucléaire, par les autres pays candidats et de chercher une compensation financière en contrepartie en faisait partie. Cela ne pouvait pas se faire d'un seul coup. Mais une période de transition avant la fondation de la RfE était de toute façon inévitable. Les structures administratives, le système fiscal et bien d'autres choses encore devaient être modifiés avec précaution et adaptés progressivement.
C'est pourquoi la Convention proposait que le « projet République fédérale d’Europe » soit abordé par étapes. En 2028, il faudrait d’abord rechercher le soutien des parlements, puis rédiger la Constitution de la République fédérale d’Europe. À cette fin, le consentement des populations devait être demandé en 2029. Une fois cette étape franchie, la fondation du RfE pourrait être préparée à partir de 2030, au cours d'une phase de transition de huit ans. Les parlements des pays candidats devaient décider de la création formelle en 2038 lors des votes finaux. Cette feuille de route a été rapidement mise en œuvre par les gouvernements et les parlements nationaux.
L’obstacle le plus important à surmonter était manifestement d’obtenir un degré élevé d’approbation de la fondation de la République fédérale d’Europe par les citoyens concernés. Mettraient-ils de côté leur sentiment national, voire leur fierté de leur pays, en faveur d’un nouvel ordre, tourné vers l’avenir, d’une République fédérale d’Europe ? Les tentatives précédentes de faire les bons pas vers une Europe politiquement unie ont souvent connu des revers cuisants. Certaines voix ont exigé qu’une large approbation de plus de 60% ou même des deux tiers des électeurs soit une condition préalable à une décision aussi énorme. La majorité des parlements a cependant décidé qu’une simple majorité démocratique devait suffire. Cela parce que les gens sont conscients de la signification historique de leur choix et que tous les arguments pour et contre sont discutés en détail. Les partisans ont clairement indiqué aux électeurs qu’il s’agissait de la toute dernière chance de parvenir à une Europe véritablement unie. Les nationalistes, quant à eux, ont souligné que notre État-nation historiquement développé disparaîtrait et que nous nous exposerions à l’arbitraire d’autres groupes ethniques. On pouvait leur rétorquer que le principe de subsidiarité, qui doit être inscrit dans la Constitution, accorde à chaque groupe ethnique de larges libertés pour cultiver les particularités de sa patrie proche.
Les jeunes dans leur grande majorité, ainsi que les quelques « vieux » qui avaient encore connu la période d’après-guerre étaient des partisans fervents ou sages de la République fédérale d’Europe. Les autres concitoyens, qui voyaient leurs priorités moins dans les questions de politique que généralement dans la famille, le travail, les loisirs, la formation de la propriété, etc., ont été incités par la discussion accablante et omniprésente á se pencher sur ce sujet important. C’est ainsi, qu’il a été largement possible de se débarrasser de l’inertie souvent habituelle du peuple à l’égard de cette question politique concrète. Les membres de l’EfEu, en particulier, ont été infatigables dans leur campagne pour la fondation de la République fédérale d’Europe.
Pour une bonne raison, les référendums avaient été fixés au dimanche, 27 mai 2029, avant la période de vacances. En Belgique, en France et au Luxembourg, un taux d’approbation de près de 60% a été atteint, et même 64% en Allemagne. La voie était donc libre pour créer les conditions de la fondation de la République fédérale d’Europe.
Immédiatement après les référendums, les gouvernements ont préparé la convocation de la Convention constitutionnelle et établi un calendrier pour les négociations ultérieures nécessaires. Le mandat pour parvenir à un accord était clair. La Convention constitutionnelle était essentiellement composée des membres de la Convention de 2027. Après neuf mois, la constitution de la République fédérale d’Europe était prête. Sa structure et son contenu s'inspiraient des lignes directrices éprouvées des constitutions des États candidats, appliquées au nouvel État à fonder.
La période de transition de huit ans avant la fondation a été maîtrisée malgré les difficultés occasionnelles. Tous les acteurs étaient prêts à assumer la mission confiée par les électeurs avec dynamisme et bonne volonté.
Au printemps 2038, le moment était venu. Les votes dans les parlements des pays candidats sur la création formelle de la République fédérale d’Europe ont pu avoir lieu. Un soutien clair a été obtenu dans les quatre pays candidats.
Comment une rechute pourrait-elle encore se produire maintenant, puisque les attentes joyeuses étaient déjà élevées partout. Le bon exemple des pays fondateurs avait déjà fait école. En Italie, en Autriche, au Portugal et en Espagne, les candidatures à l'adhésion au BRE avaient déjà été déposées et les préparatifs étaient bien avancés.
Enfin, les pays fondateurs avaient réussi à se mettre d'accord sur la région métropolitaine Strasbourg-Kehl, qui traverse le Rhin, comme capitale. Plus rien ne s'opposait donc à la création de la République fédérale d'Europe le 1er juillet 2038, une date qui attirait l'attention du monde entier. Un concours de compositeurs avait été lancé pour composer un hymne grandiose. Et la fête nationale française en souvenir de la prise de la Bastille a été adoptée comme date de la fête national de la République fédérale d’Europe.
Nous pouvons donc maintenant fêter les trois ans d'existence de la République fédérale d’Europe – et ce ne sera pas la fin de l’histoire de la véritable unification politique de l’Europe. La République fédérale d’Europe se développera et prospérera en tant que patrie des Européens.
Remarque :